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Obésité : métamorphoses du corps et de l’esprit

Abstract Diabetologie juin 2006

La «bonne santé» ne se détermine pas par un poids ou même une apparence. C’est un comportement de bien-être physique, mental et social.
Être soi-même devient difficile dans une société comme la nôtre, une société de consommation où le profil est idéalisé par les médias, la presse, adulé par une image virtuelle. Le passage du «surpoids» à «l’obésité morbide» n’est parfois qu’une histoire de temps et un phénomène multifactoriel. Il peut-être rapide ou latent mais ce qui est sûr c’est qu’il place le sujet sous le regard inquisiteur de l’autre, de la société qui évalue la norme, la charge pondérale. Une société politiquement correcte.

Les formes évoluent ou plutôt les critères de beauté changent dans le temps et les époques. Par le passé, la femme figurée sous ses aspects les plus généreux évoquait l’abondance, la générosité, l’aptitude au bonheur. Cette plasticité va évoluer ou plus exactement s’adapter aux normes, aux exigences de sa civilisation et de sa culture.
Ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui.

Un pays a ses lois, ses codes culturels, ses représentations face à une plasticité en pleine mouvance avec son temps. Une silhouette corpulente renvoie des messages à l’autre différents en fonction de son identité culturelle.
Sous le regard de Fernando Botero, peintre et sculpteur Colombien, on peut admirer aujourd’hui dans le monde ses œuvres figurant des personnages aux silhouettes volumineuses, il exalte la vie dont ils jouissent mais ironise par la même leur rôle dans le monde.
Botero, ce peintre inclassable explique l’obésité aimable des personnages qu’il enfante depuis plus de trente ans. A la question:«vos personnages sont gros» il répondra: «non ils ont du volume, c’est magique, c’est sensuel».

L’expression «silhouette chaleureusement accueillante» véhiculée dans beaucoup de contrées du continent Africain est entendue par sa population comme source de bien-être, d’équilibre et de santé. Là où paradoxalement la pauvreté et la dénutrition subsistent encore. Le phénomène culturel va se figer dans les mémoires et les comportements collectifs. Quant aux autres pays d’Europe, cette silhouette sera considérée comme une maladie chronique qui s’inscrira dans un programme de prise en charge pluridisciplinaire. Toutefois, les conduites environnementales et sociales surtout dans les zones urbaines n’incitent pas à adopter une vie saine physiquement active. La bataille est lancée contre l’obésité et les problèmes de santé et les chaînes de fast-food sont conscients de la pandémie d’obésité. Un premier pas est fait vers la sensibilisation des populations, des familles, des mères et des enfants sur la condition alimentaire.
Le monde donne l’impression subitement, depuis quelques années, de se sentir concerné par ce combat contre l’obésité.

Un corps en pleine métamorphose

Le «Martyre» du patient obèse ne se résume plus à sa corpulence excessive et au racisme dont il est l’objet. Cette dimension corporelle n’est pas une question alimentaire et de régime bien que cela soit au centre de sa préoccupation. Mais s’inscrit dans une fragilité, une mauvaise image de soi dont le corps est le réceptacle d’émotions, de sentiments difficiles à mettre en mots. De là s’épanouissent des maux somatiques compris par lui et qui sont l’enjeu en outre de désordre alimentaire. Manger devient un passage à l’acte qui évite la mise en mots plus douloureuse par le contenu émotionnel. Les aliments viennent colmater les pensées négatives par le bien-être immédiat. Ces pulsions mises en œuvre sont des pulsions autodestructrices qui ont un effet sur le corps. Un corps sacrifié, déchu, qui trouvera une restauration mentale par la parole du médecin et du psychothérapeute. Une parole qui va s’inscrire dans l’histoire personnelle du sujet. Un sujet dont le corps ne sera plus dissocié de lui-même. On peut faire un parallèle avec Grégoire Samsa dans «La Métamorphose» de Kafka pour lequel sa transformation en vermine va le couper de tout contact avec autrui et l’enfermer dans un délire, une impression d’étrangeté éprouvée à son réveil. Personnage «asocial» et devenu parasitaire, c’est le reflet de représentations archaïques qui se fait jour.

Prise en charge du patient obèse

Le service d’endocrinologie de l’hôpital Avicenne offre à ses patients obèses une aide thérapeutique et médical. Elle est proposée sous deux formes : soit un suivi pluridisciplinaire à long terme et à visée psychothérapeutique (avec endocrinologues, médecins nutritionnistes, chirurgien, diététiciennes, psychologue), soit une chirurgie bariatrique comme l’anneau gastrique ou le by-pass, après une décision prise en commission pluridisciplinaire.

En effet, les patients viennent nous signifier leur souffrance et leur désarroi face à une situation qui s’est enkystée depuis longtemps. Leur parcours est le même pour tous : pris de poids, régimes divers et restrictifs pour la plupart (avec ou non suivi médicalement assisté), et reprise d’un poids supérieur au poids initial. La demande reste claire pour la plupart des patients, ils veulent une aide efficace, sortir de cette impasse, retrouver de la «dignité», une santé.

Mireille dans sa démarche thérapeutique

Pendant les consultations, les patients ont une vision parfois lointaine, désuète de la situation dans laquelle ils se trouvent. Ils sont plongés dans une réalité à mi-chemin entre le pensable et l’impensable, le possible et l’impossible. Le premier contact est emprunt d’un mal-être difficile à exprimer, mais dont le corps se laisse aller à une expression somatique.
C’est le témoignage de Mireille en décembre 2004 qui exprime une demande franche : «Je viens vous voir car la situation n’est plus possible pour moi, je souhaite des réponses à mes questions…». Au fur et à mesure de son élocution, Mireille se décrispe pour s’installer plus tranquillement dans le fond du fauteuil, un corps qui enfin cesse de s’agiter dans tous les sens.

Ce «corps carapace», elle se l’était fabriquée par la force des choses et les dires des proches qui ne l’épargnaient guère. Mais un jour un «déclic» s’opère lors d’une lecture d’un roman qui la pousse à prendre rendez-vous à l’hôpital et à rencontrer toute une équipe. Dès le premier entretien, Mireille déballe tout sur tout dans une logorrhée florissante. «…J’ai tout perdu… Je n’ai plus de plaisir à me regarder, à me toucher. Mon corps ne me dit plus rien, il me fait horreur surtout quand mon mari pose son regard sur moi et qu’il me dit que je suis bien comme ça malgré tout. Je ne veux plus faire semblant d’être bien, avec toujours le sourire. Vous savez quand on est super gros, il faut en avoir de l’humour face aux autres. Je suis vide de tout plaisir mais ce qui est difficile c’est de ne pas pouvoir en pleurer ou en rire. Ma situation est étrange, j’ai l’impression que je ne suis plus la même femme, une carapace, un autre corps est en moi et c’est pour cela que je viens vous voir pour savoir qui je suis aujourd’hui avec ce surpoids».
Mireille ressent une impression d’étrangeté face à un corps morcelé dont le vide émotionnel et fantasmatique l’a enfermé durant de longues années. Elle ne se reconnaît plus dans ce corps carapace qui lui parasite ses émotions. Elle exprime des émotions nouvelles de type dépressif telles que la tristesse, l’ennui, la peur, la crainte, l’angoisse. Émotions méconnues jusque-là qui s’accompagnent d’un repli sur soi, d’une perte de l’élan vital, d’un ralentissement et d’une incapacité à se projeter dans l’avenir. Le passage à l’acte chez Mireille va se traduire par un retournement sur soi avec des troubles psychosomatiques (eczéma diffus sur tout le corps, pelade…). Des troubles graves vont accompagner ses symptômes par un comportement de compulsion alimentaire, une boulimie aggravante qui ne feront que renfermer la patiente sur elle-même, dans une solitude. «La pire souffrance, c’est celle qui s’est tue pendant toutes ses années».
Le patient obèse se voit dans le regard de l’autre tout comme l’enfant qui se découvre et se construit dans le regard de sa mère. Des idéaux parentaux qui parfois ne sont pas porteurs ou suffisamment constructifs et présents pour consolider et accompagner l’adolescent dans sa phase de construction identitaire.
Mireille continue à suivre ses consultations avec la psychologue et la diététicienne. Elle va bien mieux dans son expression corporelle et somatique. Le poids a sensiblement chuté, son comportement alimentaire n’est pas résolu, mais elle en a pris conscience et réalise sa problématique actuelle et sa prise en charge thérapeutique au long court.

Georges et l’aventure bariatrique

Un autre patient me faisait le constat qu’il venait à l’hôpital pour perdre du poids mais que la raison n’était pas d’ordre esthétique mais vital pour sa santé. Il n’arrivait plus à se mouvoir et les douleurs étaient si violentes, qu’il était contraint de ne plus travailler. Ses déplacements étaient réduits. Sa solution envisagée était une solution radicale comme l’anneau gastrique le propose dans sa chirurgie bariatrique.
Pour George, «…d’habitude, on met entre soi et les autres de la folie, de l’esprit, de la drogue, de l’alcool ou bien une dose de religion, et bien moi, j’ai mis des centimètres de graisse pour bien me sentir. » Son poids ne l’a jamais dérangé plus que çà jusqu’au jour où le corps médical l’a mis en garde pour sa santé immédiate et future.
« …venir à la chirurgie bariatrique, c’est une solution qui vient en bout de parcours. J’ai essuyé pendant longtemps des suivis, des cures et malgré tout le poids que j’ai pu perdre n’a pas été suffisant. Mon poids ne m’a pas gêné plus que çà, mais là avec mes 120 kgs pour 1m58 (BMI = 49 kg/m²), je vois bien que je m’handicape de plus en plus. Au regard de ma famille, je ne peux pas mettre ma santé en suspend, ma vie en danger. J’ai des responsabilités qu’il faut que j’assume. L’opération va pouvoir m’aider, je pense, à me sortir de l’impasse. Il y aura un mieux qui va se ressentir dans mon corps et mon esprit…C’est vrai aussi, depuis mon immobilisation et la perte de mon emploi, je broie du noir, je suis moins gai avec ma famille, plus irritable et nerveux. Ma patience à des limites que je ne connaissais pas avant. Il faut que ça change vous comprenez ? J’ai besoin de cette prise en charge avec toute votre équipe, je ne veux pas être tout seul dans cette aventure, avec cette chirurgie en moi. »
George est passé en commission en décembre 2005 et a été opéré en février 2006 dans le service de chirurgie digestive où il est resté quatre jours hospitalisé. Deux mois après, George a repris contact avec la psychologue et la diététicienne du service.
Le service lui a proposé un suivi à 3 mois, 6 mois, 12 mois puis une fois par an. Ce suivi va s’inscrire dans un programme de demie-journées d’hospitalisation de jour où il va se joindre à d’autres patients dans des groupes de parole (diététicienne, psychologue, médecins, chirurgien et anesthésiste). En dehors de ces moments, George suivra une psychothérapie avec la psychologue du service.
George a retrouvé en trois moi un dynamisme longtemps oublié et «un moral d’acier». C’est-à-dire que George reprend contact avec le milieu du travail et avec ses proches. Il ressort de chez lui. Ces émotions ont évolué tout comme son corps qui se transforme, se métamorphose par la perte de poids : il est a 108 kgs ( BMI = 43,5 kg/m²).
Sa peur, son angoisse, sa honte de lui-même, sa colère et sa tristesse sont moins forts, moins présents qu’avant. L’enthousiasme, la joie, le désir ou le souhait d’envies nouvelles lui donnent raison de sa prise de décision concernant cette chirurgie bariatrique. George tente de redonner sens à sa vie et le travail thérapeutique poursuivi jusqu’à ce jour, l’accompagnera dans cette aventure de reconstruction physique et psychique.

La solution de la chirurgie bariatrique est la solution étudiée de plus en plus et appropriée dans le meilleur des cas. Mais il est fondamental que les patients comprennent que la chirurgie bariatrique comme l’anneau gastrique n’est qu’une aide et non une solution miracle. Le résultat dépend largement de leurs motivations et des modifications adéquates de leur comportement alimentaire. Des contraintes alimentaires existent et peuvent exister encore un certain temps si aucune démarche psychothérapeutique n’est envisagée en parallèle de leur suivi médical. Des restructurations doivent s’envisager à court ou à long terme pour le patient.

Conclusion

Le corps idéal n’existe pas. Il n’y a ni aspect, ni taille, ni poids idéaux. L’estime de soi et l’image du corps sont intimement liés. Aider les personnes à se sentir bien dans leur corps et à s’accepter telles qu’elles sont les motive à suivre des «comportements bénéfiques» à leur santé.

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