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Les effets pervers des régimes

Abstract Diabetologie-décembre 2007

Depuis quelques décennies, le poids est devenu un pouvoir de séduction et d’aptitude au bonheur. La libération sexuelle et la libération des corps retentissent dans notre univers quotidien. Les formes évoluent avec des femmes qui veulent contrôler leur poids. Les critères de beauté se modifient avec le temps. On passe du nu de chair rose d’un Rubens (17ème siècle) à Twiggy (1960, 42kgs pour 1m72) ou Kate Moss (1994, 44kgs pour 1m70). La femme démontre sa plasticité et son adaptation aux exigences de son temps.

L’obésité aujourd’hui, par sa forte corpulence, est considérée comme une maladie chronique et se trouve plus répandue dans les milieux pauvres des sociétés industrialisées dites de consommation. L’environnement joue un rôle dans le déterminisme social des formes. Toutes les formes de surcharges sont cependant dangereuses et cumulent pour les obésités massives et morbides toutes les complications de santé que l’on connaît aujourd’hui. Si les «classe sociales défavorisées» ont vu prospérer l’obésité, signe d’une certaine opulence comme c’était le cas au 19ème siècle, les «classes supérieures» ont développé des stratégies de contrôle du poids visant à plus de minceur. On a assisté à l’émergence d’un idéale anorexique : forme ultime de la maigreur, image de nos sociétés d’abondances.

Pourtant, la femme est ronde, par essence, elle est constitutionnellement plus grasse que l’homme et l’on sait qu’un minimum d’adiposité lui est nécessaire au déclenchement de la puberté, puis à la régularité du cycle menstruel qui conditionne la fécondité.

Alors pourquoi maigrir à tout prix ?

Chaque individu s’inscrit dans une histoire personnelle, sociale, économique et psychologique. Les troubles de comportement alimentaire, qu’ils conduisent ou non à l’obésité ou à la maigreur, débutent bien souvent à l’adolescence, phase de transformation corporelle et identitaire. Une insatisfaction perpétuelle, une ambivalence des affects. Cette dimension corporelle n’est pas uniquement une question de poids, de calories, de graisse à perdre bien que cela soit au centre de la préoccupation initiale de la personne. Mais elle s’inscrit dans une fragilité, une mauvaise image de soi dont le corps est le réceptacle d’émotions, de sentiments difficiles à mettre en mots. Il y a confusion des émotions, des sensations. Le fait de manger ou de contrôler son poids est aussi un moyen de fuir, d’échapper, d’oublier, de rompre tout lien social et familial marqué d’une forte ambivalence.
Les troubles du comportement alimentaire qui résultent d’un tel état de stress métabolique et émotionnel seront d’autant plus sévères et précoces que les sujets auront été soumis à un régime plus déséquilibré voire dissocié. Un certain nombre de personnes souffrant de troubles alimentaires sont emprunts d’émotions qui les submergent et les paralysent dans leur actions, dans leur comportement. Manger devient un passage à l’acte qui s’inscrit dans une fragilité, une mauvaise image de soi et un échec personnel. C’est alors que commence la valse des régimes, dont le bénéfice est presque immédiat et non à long terme. Tout est possible et tout est à faire du moment que l’on peut perdre du poids rapidement. La personne rentre dans un cheminement infernal qu’elle ne voit pas forcément mais qui l’use avec le temps. L’épuisement physique et psychologique la place dans une souffrance. Au cours de ses expériences de régimes dit « restrictifs » sont également notées chez la personne, des attitudes d’isolement social avec chute de la libido, pauvreté fantasmatique et des difficultés de concentration intellectuelle. Chaque phase d’anarchie alimentaire est suivie d’une phase de reprise en main, de maîtrise, de restriction et de reprise de poids. C’est ainsi que les effets pervers des régimes prennent leur consistance. Le tout ressentit dans un grand sentiment d’échec fragilise un peu plus la personne, une personne blessée dans sa chair et son âme. On constate bien souvent que les prescriptions diététiques dites « restrictives » et/ou médicamenteuses favorisent secondairement les désordres alimentaires impulsifs déterminés par la pression sociale et /ou familiale pour atteindre un « idéal de la minceur ».

La personne ne sait plus comment vivre son quotidien avec les siens et elle-même. Elle vit son grignotage, sa boulimie, son gavage, sa faim insatiable, ses compulsions dans une détresse et une grande culpabilité d’elle-même qui renvoie à un vide existentiel. Une honte s’empare de la personne qui la renferme un peu plus chaque jour. Le mental laisse la place au comportemental, le corps se trouve sacrifié. Des pulsions agressives sont bien souvent retournées sur le sujet lui-même. C’est pourquoi il est important de pouvoir identifier ces manifestations alimentaires afin de lever tout schéma restrictif ayant des conséquences sur les processus cognitifs, l’humeur, l’image de soi et les relations interpersonnelles. Les conséquences psychologiques mènent ainsi à des troubles dépressifs importants (irritabilité, angoisse, tristesse, inhibition émotionnelle, mauvaise image de soi et du monde, dépréciation, insomnie…) qui nécessite une prise en charge psychothérapeutique associée bien souvent à des traitements antidépresseurs.

Cette épidémie actuelle de régimes intenses traduit le mal-être de notre société moderne ou le profil est idéalisé, adulé par une image virtuelle. Le passage du surpoids à l’obésité morbide n’est parfois qu’une histoire de temps et un phénomène multifactoriel qui devient très vite envahissant et sans fin.

Madame Anne G., 38 ans, connaît le mot régime depuis fort longtemps et ses parents lui disait constamment de faire attention. Un jour, son médecin de famille, lui annonce qu’elle est trop ronde. Débute alors la culpabilité de ses fringales nocturnes, elle entame ainsi son premier régime vers l’âge de 18 ans sous la pression familiale. «Je me sentais toujours dans le collimateur, sous le regard des miens qui attendaient que je maigrisse». Puis vont s’enchaîner des prises en charges diverses et multiples sous le regard vigilant de sa mère et de ses sœurs. En effet, elle est la seule à connaître un problème de surpoids dans la famille. Aujourd’hui, madame Anne G. mesure 1m70 pour 129 kilos avec un BMI à 45 kg/m². Elle vit seule en autarcie chez elle. Elle vient à consulter en précisant «son enfer du régime yoyo» et ne sait plus comment en sortir. «J’ai tout essayé, je veux me sortir de cette impasse qui m’empêche de vivre comme tout le monde».

Madame Anne G. explique progressivement sa désocialisation et son besoin insatiable de manger toute la journée sans éprouver la moindre sensation de satiété. «Je mange soit par habitude, parce que je me dis qu’il est midi, 13 heure et c’est l’heure de manger ou alors par gourmandise. Mais ma gourmandise, c’est toute la journée et je ne suis pas sûr que c’est seulement ça car en fait je n’ai rien d’autre à faire que de manger n’importe quoi devant la TV ou l’ordinateur. Je n’ai plus de moteur pour rien. Je veux que ça s’arrête, j’ai l’air de quoi maintenant. Je ne vois plus personne, j’ai trop honte de tout ça et je n’ai plus rien à dire aux autres alors je reste seule». «J’ai l’impression d’avoir pris plus de poids en faisant des régimes que je n’arrivais pas à faire, trop durs ».

Madame Anne G. exprime son mal-être et sa souffrance physique et morale. En effet, elle s’est trouvée plusieurs fois hospitalisée pour des symptômes métaboliques importants. Elle évalue clairement les risques de santé auxquels elle fait face actuellement. Une démotivation quant à sa prise en charge pondérale n’a fait qu’accroître son insatisfaction et le repli sur soi. Sa venue en consultation est motivée par des incompréhensions. «Quand on est gros, on ne se voit pas comme ça et quand on maigrit, on se voit toujours gros. Le cerveau ne va pas à la même vitesse que le corps. C’est une énigme et pourtant c’est ma réalité. Alors que faire ?»
Madame Anne G. est épuisée et l’obsession de la nourriture la tient à bout de force d’où sa demande pressante d’une consultation psychothérapeutique et médicale associée afin de poser des mots sur des maux existants depuis fort longtemps.

Madame B, 31 ans, a fait des régimes en rapport avec son désir de grossesse tant voulu et tant attendu depuis 12 ans. Actuellement, Madame B mesure 1m60 pour 96 kilos avec un BMI à 38 kg/m². Elle dit avoir fait des régimes pour sa santé afin d’éviter les effets secondaires de l’obésité. Elle a maigri juste avant d’être enceinte (4 mois) et souhaite y faire toujours attention après l’accouchement. Son mari la soutient et la motive dans toutes ses démarches médicales et psychothérapeutiques. Madame B explique sa souffrance et son désespoir avant qu’elle ne rencontre son mari. Madame B a connu toujours du surpoids dans son enfance mais l’envolée de sa prise de poids a été au moment de sa puberté. Le regard des copines, des garçons l’a motivée à se prendre en charge pour le surpoids, aidée de toute sa famille. Mais les moments les plus durs ont été la reprise du double du poids d’origine orchestrée par des « régimes yoyo ».

« Je n’étais pas dans l’obésité mais très vite je suis devenue très grosse, obèse. Je me déteste et regrette d’avoir fait tout cela, voilà où cela m’a mené. » Madame B s’est sentie rapidement perdre pieds face à l’escalade du poids malgré beaucoup d’efforts . Effectivement, elle a été suivi par un certain nombre de diététiciens, nutritionnistes mais peu de temps à chaque fois. Epuisement, incompréhension, fatigue, démotivation ont été ses seules raisons d’être à ces époques. Le regard de l’autre, regard inquisiteur ne pardonne pas et renvoie une image déstructurante : «les regards et les remarques qui vont avec, bien sûr, me transpercent, me foudroient un peu plus à chaque fois .
Maintenant, je les supporte mieux, mon mari a été mon sauveur, son doux regard et sa confiance m’ont permis de surmonter ce poids et de désirer un enfant. Avant, ça n’était pas imaginable, et la période de l’adolescence très dure. J’étais la perpétuelle « petite grosse ».

Madame B est en phase de reconstruction aidée par un mari salvateur qui a su prendre du temps pour l’écouter, l’accompagner et l’aimer pour elle même, en dehors de tout préjugé et de discrimination. Madame B se laisse aller à des plaisirs et de la tendresse disparus depuis quelques années. Elle redécouvre son corps, l’accepte dans sa transformation actuelle et en prend soin. Sa démarche thérapeutique se poursuit dans le temps et montre que des traumatismes, des fantômes sont toujours omniprésents et qu’il faudra encore du temps pour y faire face véritablement sans plonger de nouveau dans un comportement compulsif alimentaire.

Il est important de comprendre l’urgence et l’aide qui doit être apportée à toute personne en souffrance avec elle-même et qui se laisse guider par des séries de régimes restrictifs.
Régimes, restriction, qui ont leurs effets sur le comportement du sujet de manière désastreuse tant du point de vue de sa santé physique que de sa santé morale. L’arrêt des régimes restrictifs permettra d’objectiver les besoins du sujet afin qu’il retrouve ses repères et sa dignité. Enfin, accepter un travail thérapeutique c’est permettre au sujet d’assouplir ses schémas cognitifs et d’accéder à une réelle existence.

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